Intégrer les communs dans le droit aurait une portée historique !
Publié le 27 novembre 2024 par clem.alx
Judith Rochfeld,

Professeure de droit privé, Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne, Institut de recherche juridique de la Sorbonne (IRJS)

Le Rapport « L’échelle de communalité. Propositions de réformes pour intégrer les biens communs en droit » que commente ici Judith Rochfeld a l’ambition éminemment positive de construire un système de concepts juridiques, cohérents entre eux et avec le droit existant, permettant l’éclosion des communs dans notre pays : cela renforcerait les capacités juridiques de communautés à gérer démocratiquement des intérêts communs reconnus.
Une telle reconnaissance en droit d’une entité claire conforme à la conception scientifique communément admise des Communs, aurait une portée considérable à l’heure où la gestion pratique et démocratique, par des communautés de personnes, des ressources menacées et de leurs droits vis-à-vis d’elles, est devenu indispensable.

 

Vous avez co-dirigé le Rapport « L’échelle de communalité. Propositions de réformes pour intégrer les biens communs en droit »1.
Quelles sont les grandes poussées sociales qui motivent le souhait de traduire dans le Droit « la considération de l’intérêt commun » et d’y « donner une place aux communs » ?
On peut identifier trois enjeux qui nous ont incités à réaliser ce travail :
1. Depuis 1970, en premier lieu, la poussée des préoccupations écologiques (protection des écosystèmes, de la biodiversité, du climat) invite les juristes à proposer des qualifications (des catégories juridiques) propres à traduire ce souci commun de préservation, comme celles de « patrimoine commun » — mondial, de l’humanité, de la Nation — ou encore de « bien commun »,... Ce mouvement a fait naître l’idée que l’on ne peut plus traiter la « nature » ou « l’environnement » comme une « ressource » dans laquelle on peut puiser sans limites ou encore comme une « propriété » ordinaire.
Cette poussée vers la reconnaissance d’un tel « intérêt commun » — et les qualifications afférentes — a d’abord pris forme à l’échelle internationale (on y a parlé de « préoccupation commune » de l’Humanité, de « patrimoine commun », etc.), avec l’idée qu’on ne pouvait plus laisser sans protection des « ressources » vitales pour tous. Certaines zones ont également été regardées ainsi, à l’instar de l’Amazonie, puits de carbone par exemple, fonction à articuler avec les intérêts privés des propriétaires et la souveraineté des États concernées (9 en l’occurrence).
 2. Notre approche des connaissances a, en deuxième lieu, profondément changé dans les années 1980. Leur privatisation — que ce soit celle des logiciels avec l’admission du droit d’auteur au début des années 1980 aux Etats-Unis ou l’extension du champ du brevet, par exemple — a provoqué une réaction de réaffirmation de l’intérêt commun à leur accès et à leur partage. R. Stallman, par exemple, formalisera des « libertés » relativement aux logiciels et en organisera une forme de partage (conditionnée à la poursuite du partage par ceux qui les utilisent).
On discutera alors beaucoup de l’extension de la propriété intellectuelle à des éléments de connaissance indispensables à la société et à la création.
3. En troisième lieu, la crise démocratique que nous vivons actuellement — de confiance, de repliement sur soi, etc. — invite à promouvoir toutes les formes de participation citoyenne à l’émergence et à la pérennisation d’actions dans un intérêt commun, notamment à des échelles territoriales (dans des structures associatives ou autres). Créer ou disposer d’espaces d’action et d’organisation en commun au sein desquels des membres se reconnaissent des droits (ce qui est propre à la définition livrée par Ostrom des « communs » /commons) — jardins partagés, tiers-lieu de travail, gestion en commun de sources d’énergie alternatives (éoliennes, ...), etc. — conduit à renforcer les liens sociaux et à faire obstacle aux facteurs de cette crise. Certes, dans le contexte français, cela met en cause la verticalité de l’action publique, qui est invitée à admettre des formes plus horizontales d’action...

 

 

Le premier constat qui a guidé la recherche, précisez-vous, « tenait en ce qu’il n’existe pas, en droit, de catégorie juridique de biens communs ou de communs »2. Mais le but des propositions avancées dans le Rapport « n’a cependant pas été de faire entrer la théorie [des Biens communs et des communs], ou d’autres, au sein du droit positif en tant que telles »3.
Elle fut, dites-vous, « D’une part, de faire prendre conscience que nombre des institutions et agencements autour de choses ou de biens, qu’ils relèvent du droit privé ou public, comprennent une part de « communalité ».
« D’autre part ... de dessiner les changements de perspective à insuffler dans chaque régime concerné, de dessiner un socle minimal de communalité »4
Pouvez-vous nous préciser la stratégie ou les raisons qui ont présidées à ce choix ?

Ce choix n’était pas du tout évident ! On aurait en effet pu avoir pour ambition de définir les « biens communs » — toute « ressource » à laquelle s’attache juridiquement un intérêt commun, qu’il soit historique, culturel, écologique, etc. — d’en établir des listes, des effets, etc..
Mais, en réalité, nous constations qu’il en existait déjà en droit : il y a déjà des « intérêts communs » reconnus — par exemple à l’égard d’un bâtiment qui est classé « monument historique » — ; il y a déjà de la « communalité » à l’égard de beaucoup de biens — par exemple lorsque l’on reconnaît que le propriétaire d’une source d’eau doit faire attention à son cours quand l’eau passe chez un voisin, etc. Les codes civil, du patrimoine, de l’environnement, de la propriété intellectuelle, sont plein d’agencements qui font déjà une place à des intérêts communs…
Par exemple, quand on octroie un brevet, on n’oublie pas l’intérêt de la société dans son ensemble ; quand on reconnait un bâtiment ou une œuvre comme historique, on n’oublie pas le public ou les générations futures, etc. Leur propriété implique des charges pour servir cet intérêt commun identifié.
En conséquence, cela aurait été une faiblesse de notre présentation si nous n’avions pas cherché à rendre visibles tous ces agencements existants où l’on fait déjà une place à un intérêt commun (« patrimoine commun », « obligations environnementales », propriété avec charges, choses communes, domaine public affecté à l’usage de tous, etc.). C’est pourquoi on a plutôt cherché à définir la « communalité », soit la part réservée à un intérêt commun dans une multitude de constructions juridiques.
Les « biens communs » sont donc davantage une « méta-qualification » qui réunit plein de constructions juridiques où une chose est affectée à un intérêt commun. Attention également, nous n’avons parlé de « communs » que quand, en outre, une forme de « gouvernement » par les membres des communautés intéressées était également présente.

 

Quelques définitions et les distinctions juridiques, en droit français actuel

« Choses communes »
Préambule du livre 3 du Code civil intitulé « des différentes manières dont on acquiert la propriété », article 714 du Code civil alinéa 1 : « des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». Exemple : l’air, l’eau courante, …
Quelques éléments ressortent de l’article 714 : un rejet de l’appropriation, à savoir de la propriété privée ou public ; un usage commun à tous, inclusif et au bénéfice d’une communauté indéterminée ; une possibilité que des lois de police règle la façon d’en jouir.
Seules les choses communes échappent aujourd’hui à l’appropriation. La propriété publique quoi que voisine, désigne l’appropriation des biens par la puissance publique.
Les choses communes se distinguent aussi « des ressources volontairement placées en usage commun » : on pense ici à l’institution du « libre » par contrat, que ce soit à l’égard de logiciel ou d’œuvre.

« Biens publics » (approche économique)
Le bien public dans la théorie économique standard repose sur une classification des biens économiques à partir de deux propriétés fondamentales : la rivalité est l’exclusivité. Un bien ou un service sera dit :
• Rival, quand sa consommation ou son usage par un individu rend son usage par un autre individu impossible ou très difficile. Exemple : bien de consommation matérielle (vêtement, bien alimentaire)
• Non rival, si au contraire l’usage par un individu ne limite pas la possibilité d’usage pour les autres. Exemple : l’information (elle peut être utilisée par un grand nombre d’individus).
• Exclusif, si l’usage est réservé à un ou un petit groupe d’individus (Brevet, cinéma).
• Non exclusif, si tous les individus ou tous les individus appartenant à un certain groupe une communauté nationale y ont librement accès (poisson de la mer).

 

Mais qu’en est-il de la propriété dans tous ces constats ?

Nous montrons que les dogmes de la propriété privée absolue et exclusive, ainsi que d’une propriété publique qui s’est peu à peu alignée sur ce modèle, ne correspondent pas à la réalité de tous les agencements présents en droit. Il y a des propriétés qui font une place à d’autres intérêts que celui du propriétaire…

 

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ce que vous avez appelé « communalité », « échelle de communalité », dont le degré zéro pourrait être la « propriété privée absolutiste et exclusiviste » ? Et comment définir les critères permettant de décrire les divers « degrés de communalité » ?

Pour mesurer le degré de communalité, nous proposons deux critères6 :
1. Que soit bien identifié un intérêt commun attaché à une chose. Le propriétaire (quand il existe) est alors sommé de dépasser son seul intérêt personnel et une part de communalité vient s’ajouter dans sa propriété.
2. Qu’il ne soit pas possible d’exclure autrui de l’une des utilités de la chose, soit l’inverse de l’exclusivisme de la propriété privé (qui contient traditionnellement le « droit d’exclure »).
S’il y a cette communalité, cela signifie que des usages sont ouverts à d’autres que le propriétaire ou que la chose est préservée pour d’autres que lui/elle. Parfois même, il y a une participation d’autres au gouvernement de la chose, ce qui rejoint les communs.

 

Comment définir les communautés qui sont intéressées à une chose ?

Cela nous a donné beaucoup de fil à retordre ! Il nous a paru intéressant de définir 3 types de communautés intéressées, dont dépendent leurs divers droits possibles (à l’accès, à l’information, à la gouvernance...) : la communauté des bénéficiaires (de l’usage ou de la préservation de la « ressource ») ; la communauté délibérative, soit celle qui participe au gouvernement de la chose ; la communauté de contrôle, celle qui vérifie que l’affectation (l’intérêt commun) est bien respectée.

 

Ces définitions pourraient-elles s’appliquer à l’entreprise où coexistent des intérêts multiples, privés, collectifs, sociaux ?

Il n’y a pas de définition juridique de l’entreprise, mais c’est un sujet en pleine évolution en droit. Avec la loi Pacte de 2019 et la réécriture de l’article 1833 du code civil — qui exige désormais que la société soit gérée dans son intérêt social « en considération des enjeux sociaux et environnementaux » — la société ne pourrait plus se contenter de poursuivre son seul intérêt social : on ajoute d’autres intérêts, sociaux et environnementaux, aux intérêts économiques ; la société peut aussi se donner une « raison d’être » ou une « mission ». Les grandes entreprises, multinationales et mères, ont aussi, désormais, un devoir de vigilance, c’est-à-dire qu’elles ont à identifier et minimiser les risques que font courir leur chaîne de valeur, envers les droits humains, la santé et la protection des travailleurs, et l’environnement. Elles doivent prendre des mesures de « vigilance raisonnable » pour atténuer ces risques et élaborer leur « plan de vigilance » avec les parties prenantes de la société. Où l’on voit que le vocabulaire des communs a pénétré le droit des sociétés… Néanmoins, il n’y a pas de définition juridique de ces parties prenantes et on ne sait pas si, au-delà des salariés, des clients, des sous-traitants, des fournisseurs, on pourra aussi y inclure les territoires, les associations... Par ailleurs, si l’on a changé les missions et les « intérêts » de l’entreprise, on n’a pas changé sa gouvernance, ce qui est évidemment fondamental !

 

 

Vous avez souhaité dans votre rapport :
1. « Rendre visibles des conséquences de cette communalité d’ores et déjà admises en droit positif, [...], Et donc [procéder à] une mise en cohérence de tous les agencements
2. Aller plus loin et proposer un régime commun minimal ou un socle de communalité »
Quelles seraient les conséquences de ces propositions ?

Dès le moment où il y a une part de communalité, et des communautés associées — telles qu’on les a définies —, on devrait avoir le même socle minimal de règles qui s’appliquent : des règles de préservation de l’intérêt commun ; des règles de considération de la communauté intéressée (information sur le bien, participation à certaines décisions sur le bien, contrôle du respect de l’intérêt commun, capacité d’agir en justice en cas contraire).
Je vous donne un exemple qui va dans ce sens : le Conseil d’Etat belge (la plus haute instance de justice administrative en Belgique) a admis comme recevable la demande d’une amatrice d’histoire qui s’est opposée à ce que le site de Waterloo devienne un site touristique et commercial ; comme il est classé « patrimoine commun de la nation », elle a estimé que son intérêt commun historique devait être respecté et qu’elle avait le pouvoir de le défendre. Le Conseil d’Etat l’a admis, même si cette personne n’habitait pas Waterloo… Or, en raisonnant ainsi, il reconnaît qu’elle fait partie de l’une des communautés — celles bénéficiaire et de contrôle — et qu’elle peut faire respecter l’intérêt commun. On voit là l’une des conséquences d’identifier un « patrimoine commun », conséquence qui n’est toutefois pas admise pour l’heure en France.

 

Avez-vous défini, dans vos propositions, ce que pourraient être des prérogatives de « commoneurs », des membres des communautés réunies autour d’un intérêt commun, permettant de mettre concrètement en œuvre les communs au sens d’Ostrom ?

Oui, nous nous sommes beaucoup inspirés pour cela, dans la deuxième partie du rapport, d’une relecture juridique du faisceau de droits d’Ostrom : des droits d’usages et de prélèvement ; des droits relevant du gouvernement de la chose (être informé, pouvoir délibérer et participer aux décisions, etc.). Par exemple, dans le cas de l’eau, dont une partie est considérée comme « patrimoine commun de la Nation », certains ont des droits de prélèvement, de gestion, d’être informé de son état, de son niveau, de sa qualité sanitaire...

 

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez, dans ce cadre de réflexion, comme « intérêts à dimension pluri-individuelles » ?

L’intérêt commun n’est pas facile à définir : ce n’est pas l’addition d’intérêts individuels de plusieurs personnes ; ce ne sont pas des intérêts coalisés ; ce n’est pas l’intérêt général. C’est davantage un intérêt indivisible d’un ensemble de personnes — un intérêt commun —, qui transcende les intérêts individuels de chacun. Nous en avons mené toute une cartographie dans le rapport.

 

Vous suivez de près les procès « climatiques » et vous avez publié un ouvrage sur le sujet, « Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne »7 .
L’approche par les communs est-elle utile dans les argumentations qui s’y développent ?

Ces procès actent l’échec de la gouvernance mondiale du climat et tentent de pousser les Etats et entreprises à faire davantage. A titre personnel, la grille de lecture des communs me sert beaucoup : c’est un intérêt commun mondial qui est en jeu ; d’ailleurs la Convention cadre des Nations Unies sur le climat de 1992 saisissait ici une « préoccupation commune ».
Par ailleurs, ces procès sont des manifestations de « concernement » et de « conscientisation » des citoyens : ils agissent en justice ou signent des pétitions pour soutenir les actions dans un intérêt commun. Ces procès constituent pour moi une sorte de « gouvernement » marginal du climat, un gouvernement citoyen qui tente de peser sur les orientations politiques et économiques. En outre, chacune des actions menées à l’échelle nationale participe à une sorte de gouvernement du climat à l’échelle mondiale.
Ces actions font évoluer, murir certaines notions et responsabilités. Il est dommage que cela se voit peu mais le Conseil d’Etat français a par exemple reconnu que l’Etat n’était pas dans sa « trajectoire de conformité » en matière climatique ; c’est inédit. S’il ne s’y replace rapidement, il risque d’avoir à payer une somme importante. D’autres procès ont trait à la structuration de notre économie.

 

Poser des limites à la liberté d’entreprendre au nom d’intérêts communs de l’humanité est donc nécessaire ?

Le droit est un outil d’arbitrage d’intérêts conflictuels. Ce n’est pas une honte d’avoir à trancher entre de tels enjeux majeurs. C’est la vocation du droit, il a à le faire. Les nouvelles décisions prises au nom des générations futures — en Allemagne et en France — montrent d’ailleurs que l’on étend le conflit à des intérêts transgénérationnels.
Par ailleurs, mettre des limites à la liberté d’entreprendre au nom d’un intérêt commun n’est pas nouveau. Par exemple, on peut relever une décision du Conseil Constitutionnel de 2021 : il a validé l’interdiction d’exportations de pesticides interdits en France — liberté d’entreprendre — parce que l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains », devait être protégé hors de nos frontières…

 

Cela peut-il s’appliquer à la protection de la biodiversité, du vivant, comme élément de protection du patrimoine commun de l’humanité ?

La biodiversité, c’est la catastrophe abyssale N°2 cachée derrière la catastrophe abyssale N° 1 du climat ! Les deux ont des liens et nous avons un même intérêt commun à la préservation de la biodiversité puisqu’elle conditionne tout autant l’habitabilité de la Terre. Il n’en demeure pas moins difficile de la saisir dans une notion juridique : est-ce un « patrimoine commun » à défendre ? La Charte constitutionnelle semble le reconnaître en France. Mais cette conception est très occidentale ; elle est en lien avec notre conception de la « nature », « chose » dont nous pourrions avoir la maîtrise. Or, sur ce point, il y a des discussions au plan international.

 

Et quid de notre idée de propriété absolue ?
Est-ce que cette conception de notre droit, basée sur la propriété, est un obstacle pour introduire la notion de commun ?

Le droit a eu de très bonnes raisons de défendre la propriété... Elle fut proclamée au XVIIIe siècle comme la manifestation de la liberté individuelle dans l’ordre des biens. Par ailleurs, pour les communs, la propriété ne constitue pas forcément un obstacle ; tout dépend en réalité de la conception que l’on en a. On peut ainsi la concevoir comme moins absolue ou exclusive, comme un faisceau de droits distribués entre plusieurs personnes, droits issus de la propriété. C’est ce que l’on appelle la conception réaliste et relationnelle de la propriété.
Ce que l’on doit affronter réellement est d’un autre ordre : ce sont des conflits d’intérêts contradictoires, par exemple des intérêts à la préservation versus des intérêts à l’exploitation, etc.

 

Les changements majeurs que peuvent apporter le droit demandent-ils que soit établi un consensus social ? Comment le droit agit-il au niveau de ce consensus ?

Pendant très longtemps, ces questions du bien commun, des communs n’étaient pas une question pour les juristes. On a cependant senti un tournant en 2015-2017, quand on a fait paraître la première édition du Dictionnaire des biens communs aux PUF : les esprits étaient ouverts à la nécessité du partage ou de la préservation de certains éléments.
Mais, pour véritablement répondre à la question, il faut souligner qu’il est très rare que de grandes ruptures juridiques se fassent dans un consensus social ; il y a toujours des rapports de force et un moment où le législateur tranche (parfois des scandales l’y aident…).
La loi sur le patrimoine de 1913 en est un très bon exemple : il n’était pas évident de dire à un propriétaire que son bâtiment pouvait être déclaré « monument historique » et que cela impliquerait des charges pour lui, dans un intérêt commun (historique) ; qu’il ne pourrait plus le modifier, le rénover comme il l’entend ; c’était assez inaudible au début du XXe siècle. Dans un débat très dense, le législateur a cependant choisi de faire prévaloir l’intérêt historique. Il n’a pas attendu un consensus total pour cela.
Par ailleurs, il y a des manières de parvenir à des consensus. Je crois beaucoup à l’intérêt des consultations et des délibérations citoyennes bien menées (mettre autour de la table des personnes représentatives, établir des enjeux clairs, entendre des paroles pertinentes d’experts, faire intervenir une ingénierie de débat solide) : l’exemple de la Convention citoyenne sur le climat a montré que l’on obtient des résultats surprenants en termes de consensus et de propositions (elle a pêché par le fait qu’elle était mal positionnée du point de vue institutionnel, en rognant sur les prérogatives du parlement notamment, mais aussi de la Commission du débat public).

 

La publication du Dictionnaire des Communs a-t-elle stimulé la discussion publique sur cette question ?
Comment voyez-vous ce débat actuellement ? Au sein des professionnels du droit ? Avec les économistes, les politiques, les activistes ? Dans la Presse ? Au niveau européen ?

Je crois que les enjeux des communs ont été vulgarisés, dans diverses couches de la société, comme des voies possibles. Mais, sauf sur certains territoires, on ne peut pas dire qu’il existe une véritable politique de soutien à de telles options.

1. https://tinyurl.com/45avj48z
Judith ROCHFELD, Professeure de droit privé, Université Paris 1, Panthéon- Sorbonne, Institut de recherche juridique de la Sorbonne ( IRJS), Marie CORNU, Directrice de recherches CNRS, Institut des sciences sociales du politique et Gilles J. MARTIN, Professeur émérite de l’Université Côte d’ Azur, GRDEG, CNRS
2. « Les Biens communs Usages et protection : regards croisés et perspectives »
3. Ibid
4. Ibid
5. Dictionnaire des Communs
6. Vous dites : « Les critères de la communalité ... :
• Le premier tient en l’affectation de la chose ou du bien à un intérêt commun. ... l’affectation à cet intérêt teintera leur régime,
• [Le second] renvoie quant à lui à l’inclusivité, que l’on peut définir comme l’absence de la capacité d’exclure totalement autrui des utilités de la chose, exclusion qui marque pourtant traditionnellement la propriété, privée au moins ... »
7. « Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne » Judith Rochfeld (Voir aussi son article dans Le Monde du 22/10/2021 « Le recours au judiciaire souligne l’absence d’institutions de gouvernance de nos grands communs que sont le climat ou la biodiversité »)