Les intérêts communs des AMAP et de la SSA
La démocratie alimentaire, défense de la paysannerie et droit à l’alimentation
Publié le 27 novembre 2024 par clem.alx
Evelyne Boulongne

Administratrice du réseau AMAP Ile-de-France et du MIRAMAP

Si les objectifs des AMAP (défense d’une « agriculture locale économiquement viable, socialement équitable et écologiquement soutenable », la « promotion d’un rapport responsable et citoyen à l’alimentation »1) et ceux de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (« défense du droit à l’alimentation saine et choisie ») ne sont pas identiques, ils sont très proches et partagent une volonté commune de démocratie alimentaire !
La présentation vivante de ce mouvement par une représentante du MIRAMAP illustre cette proximité et témoigne de certaines expérimentations en commun, de liens étroits et concrets sur le terrain. Le travail en commun ne pourrait qu’être profitable aux producteurs locaux et aux habitants mangeurs et à la démocratie alimentaire.

 

Vous êtes représentante du MIRAMAP (Mouvement Inter Régional des AMAP) et du réseau des AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) d’Ile-de-France
Pouvez-vous nous préciser ces responsabilités ?
Je suis membre d’une AMAP dans Paris 15è, administratrice du réseau des AMAP franciliennes, déléguée au MIRAMAP. Je suis principalement investie au MIRAMAP comme administratrice et co-porte-parole.
Comme le mouvement des AMAP a un fonctionnement horizontal et s’appuie sur les principes de l’éducation populaire, le MIRAMAP n’est pas au-dessus des réseaux locaux et des AMAP. Son rôle est de rassembler, d’assurer la cohérence, d’animer, d’aider à la mutualisation et aux échanges de pratiques. Je fais partie d’un collectif d’une quinzaine d’administrateurs élus de toutes les régions de France. On emploie 2 salariées, on est en charge d’élaborer avec l’ensemble du mouvement le projet stratégique, l’animation de 5 groupes de travail et de deux commissions. En France, on compte environ 2300 groupes AMAP et 3700 fermes en AMAP ce qui fait 250 000 mangeurs. Il y a une vingtaine de salariés en tout dans l’ensemble des réseaux régionaux.

 

Comment vous êtes-vous engagée dans ces activités ?
Personnellement je suis venue dans les AMAP pour protéger ma santé et celle de ma famille, mais aussi par conviction écologique et politique contre le système de l’agro-industriel qui nous mène dans le mur. C’est un militantisme riche et agréable, basé sur la gouvernance partagée, la communication non-violente, l’expérimentation, l’intelligence collective. Et au niveau des réseaux et du MIRAMAP, des convictions politiques fortes pour construire l’avenir.

 

Les AMAP sont un mouvement engagé, né il y a un peu plus de 20 ans.
Pouvez-vous nous raconter l’origine de ce mouvement, ses buts, son évolution, sa composition sociologique et ses partenaires actuellement ?
À la toute origine du mouvement des AMAP, on trouve les luttes du Larzac, d’Attac, de la Confédération paysanne et des réseaux de Alliance PEC (Paysan, Ecologiste, Consommateur) contre la « mal bouffe », les OGM et la mainmise de la grande distribution sur l’agriculture. Il s’est inspiré des SPG (Système Participatif de Garantie) de Nature et Progrès, des fondamentaux de l’agriculture biologique, des Tekei au Japon.
Concrètement la première AMAP a été créée à Aubagne en 2001 lors d’une réunion sur la mal bouffe avec un couple de paysans, les Vuillon, qui avaient vu une CSA (Community Supported Agriculture) fonctionner aux USA.
Le MIRAMAP s’est construit ensuite en 2010 sur l’impulsion des réseaux régionaux, constitués au fur et à mesure pour renforcer la cohésion des AMAP de leur territoire. Il s’est immédiatement lancé dans l’écriture collective de la Charte2 de 2014. Il anime aujourd’hui un réseau de plus de 2 000 AMAP et d’une quinzaine de réseaux territoriaux. Il travaille surtout avec les militants et salariés des réseaux locaux qui sont ancrés sur le terrain auprès des AMAP « de base ».
Notre but est de changer le système et nous n’y arriverons pas seul. Donc le MIRAMAP lutte avec d’autres : avec le Pôle InPact (10 structures agricoles alternatives), le collectif Nourrir (54 associations) où nous travaillons au plaidoyer, en ce moment dans le cadre de la future Loi d’Orientation Agricole. Avec le CTC (Collectif pour la Transition Citoyenne), le MES (Mouvement de l’Economie Solidaire), le Collectif SSA, nous soutenons les Soulèvements de la terre. Nous sommes dans un écosystème de mouvements alternatifs et de lutte pour des transitions, ruptures, pour autre projet de société, un autre monde …
Voir notre site pour plus de détails https://miramap.org/

 

Les AMAP sont évidemment immergées dans le monde paysan, qui est un monde extrêmement divers, mais lui aussi pour une large part en grande difficulté.
On a vu récemment que le monde paysan était très hétérogène. Notre mouvement composé de paysans et de mangeurs affirme que l’agriculture concerne tous les citoyens. Le cloisonnement corporatiste empêche de parler sur le fond des politiques agricoles.
Nous avons la même analyse qu’avant sur les crises, nous voulons un revenu paysan pour protéger l’environnement et produire une alimentation saine et durable, c’est ce que nous faisons dans nos AMAP depuis 20 ans.
La co-gestion de la FNSEA et des divers gouvernements est toujours favorable aux 20% des agriculteurs qui raflent 80% des paiements directs de la PAC versés à l’hectare. Ce syndicat, manipulateur avec ses adhérents de base, choisit d’éliminer l’agriculture paysanne, la bio et les mesures environnementales que veut la société civile. Nous, nous voulons le pluralisme dans les instances de décisions agricoles où des citoyens doivent siéger pour que l’agriculture soient dirigées pour l’intérêt de tous et non pour le profit de quelques-uns. Nous voulons la démocratie alimentaire dans les territoires par des Conseils alimentaires communaux et régionaux, pluralistes représentant l’intérêt général des habitants. Nous voulons l’arrêt du libre-échange et des régulations européennes plus fortes pour garantir des revenus décents à tous les paysans du monde.

 

On note parfois que les personnes à petit budget sont peu présentes au sein des AMAP, qu’elles seraient orientées vers les bobos.
Qu’en dites-vous ? Quelle est la sociologie des AMAP ?
Effectivement et ça ne nous plait pas trop. Une enquête a été faite en Ile-de-France (région certes spécifique). Les répondants, majoritairement des répondantes, étaient en majorité des personnes ayant fait des études supérieures. Nos ennemis nous matraquent en disant que « le bio c’est cher, les AMAP sont pour les bobos » . Les grandes surfaces qui ont margé jusqu’à 80 % sur les produits bio pendant des années ont contribué à agrandir la coupure entre deux types d’alimentation liés à des groupes sociaux différents. La bio est attaquée, ses subventions supprimées, ses fondamentaux dévoyés. Dans les AMAP on trouve des produits bio au prix du pas bio, puisque nous n’avons pas d’intermédiaire, peu de frais touchés par l’inflation.
Le problème n’est pas économique mais culturel, basé sur le décalage entre l’immédiateté du plaisir de manger et la temporalité de la croissance des légumes ou des animaux dans les fermes. Pour s’engager en AMAP, il faut payer en début de « saison » pour l’année à venir et cet engagement est difficile pour les personnes en situation de précarité. Pendant la crise du COVID, certains paysans ne pouvaient plus vendre sur les marchés de plein vent, les aides alimentaires n’étaient plus distribuées et de nombreuses AMAP, qui œuvrent, par principe, à la logistique de la vente directe des paysans, ont lancé des actions de solidarité et d’inclusivité.
Le MIRAMAP a démarré ensuite un chantier sur l’accessibilité à l’alimentation et rédigé un guide « Agir en AMAP pour un accès de tous à une alimentation durable et choisie » pour aider les AMAP à aller vers le public précaire. C’est une exigence pour nous, nous sommes engagés aussi pour changer la société !
 
Comment cherchez-vous à élargir votre base, aussi bien paysanne que de consommateurs ?
Comme ceux qui ont écrit « Reprendre la terre aux machines », nous savons que le système ne changera pas en augmentant le nombre d’AMAP, mais il nous faut continuer à défendre l’agriculture paysanne, à lutter contre la disparition des fermes, à résister, à être le grain de sable dans la machine, à donner de l’espoir.
Donc nous continuons à sensibiliser, à mobiliser, à structurer notre mouvement, à nous élargir sans compromis qui affaibliraient notre identité et nos valeurs, à être plus forts en alliance avec d’autres. Nos mouvements alternatifs d’éducation populaire ont besoin aussi de créer le rapport de force avec « nos ennemis ».

 

 

Cela fait une bonne transition avec la question de la Sécurité Sociale de l’Alimentation.
Comment se positionnent les AMAP, au plan global ou localement, vis-à-vis de ce projet ?
Au niveau global, le MIRAMAP est partenaire du Collectif pour la SSA depuis le début.
Nous sommes vivement interpellés par le projet de SSA, mais les modèles sont différents. Les AMAP partent de la défense de l’agriculture paysanne et de son lien avec les mangeurs. La SSA part du droit à l’alimentation. Ça se rejoint dans la volonté de démocratie alimentaire territoriale.
L’expérimentation de SSA la plus aboutie que je connaisse est celle du CLAC3 de Cadenet, dans le Vaucluse, dans lequel l’AMAP locale joue un rôle important. Le financement de la Fondation de France fait fonctionner une Caisse SSA, les bénéficiaires tirés au sort touchent 150 € par mois pendant deux ans. Sont conventionnés l’AMAP local (à 100 %), un magasin de producteurs (à 70% des produits) et une épicerie locale (à 50 %).
Certaines AMAP ont un prix de panier fixé en fonction du quotient familial, sans contrôle. Des AMAP et réseaux montent des projets solidaires avec des tiers financeurs publics ou privés pour inclure des familles à petits budgets avec l’aide des Centres Sociaux et des collectivités territoriales. En Hauts-de-France : P.A.N.I.E.R.S est un projet, au départ financé par des collectivités locales, pour la création d’un fonds de dotation de solidarité alimentaire via les AMAP et les paysans bio de la région.
Les paysans sont en butte avec les grandes surfaces qui les ruinent. Par exemple, il vaudrait mieux que les produits conventionnés par les Caisses SSA ne soient pas vendus dans ces lieux parce que nous souhaitons décourager les mangeurs d’y mettre les pieds. Il y a encore beaucoup de questionnements à régler, le débat est riche.

 

Pensez-vous qu’une prise de position de soutien à la SSA soit possible ? Que des expérimentations locales d’AMAP avec des projets locaux de SSA puisse se faire ?
Des AMAP mènent déjà des expériences proches de la SSA. Un Groupe de Travail « accessibilité » (de l’alimentation) du MIRAMAP rassemble déjà ces pratiques à partir de toutes les régions de France. Les deux projets sont poreux, des militants circulent entre les deux.
Ces deux projets divergent déjà dans la temporalité, les AMAP sont là et la réalisation de la SSA est assez lointaine pour le moment. Le principe d’universalité est impossible à réaliser sans une loi, l’obtenir ne sera pas facile.

Propos recueillis par Didier Raciné,
Rédacteur en chef d’Alters Média - Janvier 2024