Démocratie alimentaire, droit à l’alimentation, transformation du modèle agricole
La logique des communs, outil au service de la Sécurité Sociale de l’Alimentation
Publié le 27 novembre 2024 par clem.alx
Dominique Paturel

Chercheuse en Sciences de Gestion associée à UMR 951 Innovation, Collectif Démocratie Alimentaire, membre du Collectif « Pour une SSA », membre de la Fondation Copernic, adhérente à PEPS (Pour une Ecologie Sociale et Populaire)

La capacité des projets de Sécurité Sociale de l’Alimentation de faire vivre sur le terrain, une démocratie alimentaire directe, associant bénéficiaires et producteurs sans aucune exclusive et notamment pas celle qui serait basée sur le budget, est le gage de leur succès.
Ces modalités de gestion démocratique de ressources communes, vitales pour tous, par des collectifs locaux rapprochent le SSA des communs.
L’alimentation et le monde agricole et de l’agroalimentaires sont des systèmes dont la transformation demande l’apport de recherche participative.

 

 

Vous êtes co fondatrice du Collectif Démocratie Alimentaire qui anime la lutte pour la Sécurité Sociale de l’Alimentation.
Comment avez-vous plongé dans cette question de l’alimentation ?
Je m’y suis intéressée en tant que chercheuse au Campus agro de Montpellier, en m’appuyant d’abord sur les travaux de Yuna Chiffoleau sur les circuits courts, puis sur l’ouvrage de Louis Malassis « Nourrir les hommes », fondement de la modernité du système alimentaire, et les travaux de Tim Lang, chercheur en santé publique concernant la démocratie alimentaire.
Comprendre l’alimentation, c’est la saisir comme système alimentaire, c’est comprendre qu’il faut des activités de production agricole, de transformation de ces produits, de logistique, de dispositifs techniques et enfin des lieux et des produits à consommer, pour pouvoir manger. On ne peut manger sans cet ensemble d’activités : ce qui compte ce sont les conditions sociales (travail, rémunération, organisation, etc.) dans lesquelles tout cela est produit. Les questions de la logistique, mais aussi des déchets sont importantes et transversales au système.
Cette vision systémique renouvelle la politisation de l’alimentation : c’est à partir d’elle qu’apparaît le concept de « démocratie alimentaire », fin 90, dans la mouvance du contre-sommet sur la sécurité alimentaire, organisé par des organisations agricoles (Campesina) en 1996. Ce contre-sommet constate que la paysannerie, à l’échelle internationale, à la base de l’alimentation, a du mal à vivre et elle-même à se nourrir.
Le concept de souveraineté alimentaire et la remise en question de la façon dont celle -ci est pensée et calculée par les organisations internationales dont la FAO, émergent dans ce contexte. Ce calcul, basé sur un simple ratio de la production sur le nombre d’humains, se fait sans tenir compte, ni des réalités propres à chaque région et son système alimentaire, ni du contexte global : c’est dans les années 80 que l’on voit apparaître l’accélération des industries agro-alimentaires et la mise en place des accords commerciaux internationaux. La création de l’Organisation Mondial du Commerce en 1994 intègre l’agriculture comme une marchandise comme une autre : obligation de baisse des subventions à l’exportation, baisse des droits de douane, baisse des subventions à la consommation locale, etc… La souveraineté alimentaire assurée avant ces accords disparaît au profit d’un système alimentaire mondialisé.
A partir de là, en 1998, s’élabore (avec Tim Lang) une autre façon de penser, dont le concept central est la démocratie alimentaire. Les États ne peuvent plus réguler efficacement car le système alimentaire devient mondialisé (le Big Food) est assujetti aux accords de l’OMC. En outre les scandales sanitaires dont celui de la Vache Folle au début des années 1990 renforcent cette idée de démocratie alimentaire : c’est aux citoyens et citoyennes de reprendre la main sur leurs systèmes alimentaires dès maintenant.
Tout cela s’appuie sur la repolitisation de la question alimentaire à travers divers mouvements à l’échelle internationale : aux US, le mouvement Food Citizen et le CSA qui est une forme d’AMAP ; au Japon le mouvement des Tékés qui s’appuie sur le mouvement des femmes en lutte contre la pollution des sols après les attaques nucléaires ; en France, avec l’arrivée des premières AMAP en 2001le renouveau des groupements d’achats modernes – reliant producteurs et familles qui existent depuis la seconde guerre mondiale.
Cette politisation s’effectue à travers le renouvellement des circuits courts (reliant producteurs et consommateurs) en rapport avec les conditions de production sociale et environnementale des aliments, de l’achat local en vue d’assurer un revenu agricole correct et la santé des consommateurs. Deux évènements vont accélérer le mouvement : la décision du Ministère de l’agriculture de prendre en compte et valoriser ces circuits courts ; les émeutes de la faim en ville dans les pays du Sud, qui soulignent aussi que le problème alimentaire prend une dimension très sensible en ville et se politise.
La presse va ainsi relayer à partir de 2008, ces préoccupations de la société à travers des articles concernant essentiellement la question agricole et la précarité alimentaire. L’augmentation de ces articles est exponentielle encore aujourd’hui. Cette fabrique journalistique relatant initiatives, situation macro-économique participe à ce processus de politisation.
La recherche académique commence à s’intéresser au renouvellement des circuits courts, à produire des connaissances à ce sujet, notamment à l’INRAE : je me rends compte alors que les personnes à petits budgets sont absentes par exemple dans ce système des AMAP.
J’ai suivi la création du MIRAMAP (Mouvement inter régional des AMAP), dont les fondateurs étaient des hommes, très outillés sur les questions agricoles et de politique agricole, avec un fort consensus entre eux : ils vont orienter le mouvement, où règne une grande diversité.
La Charte qui est adoptée à ce moment, définit ce que l’on appelle AMAP, leur mode de fonctionnement et leur mode de création. Elle élabore ce qui sera appelée la « garantie participative » (une innovation qui soutient la politisation de la question alimentaire) ; elle sert de base à ce mouvement. Néanmoins, la rédaction de la Charte, qui lance le mouvement, masque l’existence de certains dissensus. Elle s’appuie sur l’adhésion enthousiaste des personnes envers des idées, qui n’ont pas encore été confrontées aux réalités. Elle défend un modèle qui va concerner principalement les classes moyennes avec un certain niveau d’éducation. Cependant elle invisibilise le travail important des femmes qui assurent une bonne partie du quotidien du fonctionnement de ces amap.
Les dissensus au sein du mouvement se sont manifestés dès l’origine, notamment à Marseille : le réseau animé par des femmes dont une chercheuse, porte l’idée de Collectifs locaux et de démocratie participative, d’alliance avec les luttes sur l’environnement (en particulier l’utilisation des pesticides) et pour l’accès au foncier et entre autres dans ce qui peut être les prémisses de l’agriculture urbaine. La création du MIRAMAP ne valorise pas la réalité de ce réseau dont le fonctionnent se ramifie dans plusieurs espaces concernant les activités nécessaires au système alimentaire et notamment dans sa reterritorialisation. À ce moment-là, le Miramap fait le choix d’une organisation verticale.
Mon hypothèse est la suivante : si les femmes très engagées dans les amap, au moment de la fondation du Miramap avaient pu prendre la main, on aurait aujourd’hui un mouvement alternatif beaucoup large qu’il ne l’est, basé sur une organisation de besoins adossés à la vie quotidienne. Tout est question de timing et de conscientisation et à cette époque, d’une part le mouvement féministe était fragmenté et peu sur ces questions et d’autre part, l’expérience inspirante du mouvement des femmes japonaises est restée dans les contraintes patriarcales habituelles.
Ce mouvement social, que j’appelle Agricolo-alternatif, croise des organisations reconnues comme des vecteurs d’un mouvement alternatif par l’État comme par exemple les CIVAM. Le syndicat agricole la Confédération paysanne et l’association de soutien « Les amis de la Confédération » allié.es naturels, intègrent l’alimentation et donc les consommateurs et consommatrices, dans leur stratégie et ainsi ils participent à renforcer ce mouvement social autour de l’accès à une alimentation de qualité. Ils auront un rôle important dans la création du collectif SSA.

 

Comment ce mouvement aborde-t-il la question de la démocratie directe, participative et remet-il en cause la démocratie représentative ? Comment intègre-t-il de la question des Communs ?
Le croisement autour des communs et avec les mouvements qui s’en réclame ne s’est pas encore fait. L’idée de démocratie alimentaire est particulièrement large, elle s’appuie majoritairement sur le développement de la démocratie participative citoyenne, promue par l’Europe et reprise en France à partir des années 2000. Le mouvement, lui, a une vision de la participation qui passe en fait essentiellement par la représentation, et sur des rapports de domination peu questionnés, « des gens qui savent sur d’autres qui ne savent pas ».
De plus, il faut comprendre que dans ce mouvement autour de l’alimentation, il y a deux entrées de revendications et de luttes :
• celle de l’agriculture avec un soutien à l’agriculture paysanne,
• celle de la précarité alimentaire et des réponses sociales pour la population pauvre.
Ces deux entrées, soutenues par les politiques publiques cernent les projets alimentaires. D’où la connexion à partir du milieu des années 2010 entre les participant.es du soutien à l’agriculture paysanne avec les milieux de l’action sociale. Cette connexion est une avancée pour le mouvement social et un pas de plus vers le projet de SSA. Cependant le modèle de la démocratie reste celui de la participation mise en place par ceux et celles qui animent et organisent ces initiatives. L’approche consiste à intervenir par l’intermédiation.
Pour des chercheuses comme moi, issue du travail social radical, la démocratie c’est d’abord et avant tout rencontrer les gens là où ils et elles sont et partir de leurs besoins. Mais c’est surtout laisser leurs capacités de s’auto-organiser, de s’entraider et non d’intervenir avec une ingénierie du social ancrée essentiellement dans l’offre alimentaire. A partir de là, on sait rarement où on va, la navigation à vue est un des principes.
Dans cette application de la participation des personnes et familles à petits budget (nécessaire au marché capitaliste) les associations caritatives ou philanthropiques, les services publics d’action sociale ont un rôle important dans l’encadrement de ces populations. Il y a, au sein de certaines de ces associations (en particulier ATD Quart Monde) à la fois un énorme travail en direction et avec des personnes en situation de pauvreté et un rapport de domination difficile à transformer. On entend souvent des personnes en situation de précarité ayant participé à des réunions d’instances européennes dire : « on ne nous écoute pas ! ». La professionnalisation de la participation si elle a ouvert une montée en compétence pour former des professionnels.les souvent très impliqué.es, elle empêche aussi l’auto-organisation des populations concernées.

 

 

Dans l’interview de Marie Massart, élue de Montpellier, est évoqué le fait que le mouvement aura besoin des contributions des entreprises lorsque l’on devra étendre l’action de la SSA à une fraction plus importante de la population.
Qu’en pensez-vous ?
Ces projets restent dans les limites du marché capitaliste. Cela va de pair avec le pouvoir de la finance et on est dans l’aménagement du système tel qu’il existe. Ces expérimentations, si elles sont très importantes pour la construction d’un récit politique et si elles font partie de la lutte contre ce système agroalimentaire mondial, restent dans des espaces micro ; il ne faut pas oublier la puissance des tenants de l’offre alimentaire et le rapport de force, pour l’instant, n’existe pas. Ces expérimentations font bouger des choses à l’intérieur de ces micro-marges laissées par l’agro-industrie.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire, mais il faut chercher d’autres pistes : on a besoin d’alliances plus grandes qui ne soient pas concentrées sur l’idée de filet de sécurité pour des personnes en situation d’exclusion, qui conduisent obligatoirement à chercher du côté de la ressource publique. Or la ressource publique, telle qu’elle existe aujourd’hui, arrive au bout. Faire appel aux autres acteurs de l’offre telle qu’elle existe, c’est donner carte blanche aux industries agroalimentaires, qui sauront construire de nouveaux segments de marché. L’assiette dite « démocratie alimentaire » deviendra un segment de marché.
• La première piste demeure la ressource publique, mais avec la garantie de l’intérêt général et l’arrêt des appels à projets qui mettent en concurrence les initiatives, y compris en les poussant à former des conglomérats entre elles qui vont à leur tour empêcher les autres petites initiatives d’accéder aux ressources : la sagesse démocratique serait plutôt de partager et s’entraider.
• La seconde piste est, que le système alimentaire français est construit sur une multitude de PME et de TPE. Cela ouvre une autre piste, même si cela ne change pas radicalement la nature du marché.
• Une troisième idée est que l’alimentation n’est pas une marchandise comme les autres, que l’on ne peut laisser aux mains du capitalisme dans les accords internationaux. Ce qui veut dire reprendre politiquement la main, à l’échelle de la France et de l’Union Européenne, et repartir de l’idée de souveraineté alimentaire. Derrière cette troisième piste, il y a l’idée de mutuelle.
• Et puis il y a une quatrième piste qui est celle du mouvement écologiste auquel je participe qui est de reterritorialiser de façon un peu différente des autres pistes, en mettant au cœur l’idée des communs liant compétences et espaces, basé sur le travail de subsistance. Ce travail de subsistance peut d’ailleurs se mettre en place dès maintenant même si les compétences sont « confinées » dans des interstices et qu’il faut aller les chercher.
Mais pour cela, il faut consolider les alliances par le développement d’une réelle démocratie alimentaire : il faut admettre un point de vue critique de démocratie radicale. Elle seule peut permettre d’élaborer une boussole et de travailler sur les contours de l’alliance. Or aujourd’hui, on a une vision « sociale-démocrate » refusant toute radicalité, qui s’accommode du marché.

 

La reconnaissance juridique du principe de démocratie alimentaire, des principes des communs seraient des acquis. Judith Rochfeld a proposé dans un travail de recherche important des pistes pour la reconnaissance juridique des communs.
Comment abordez-vous la question juridique ?
Sur le plan juridique, il faut noter que l’on est dans le désert le plus total. Ce qui existe concerne le droit de la consommation, qui permet de protéger le marché tel qu’il existe ; ce n’est pas du tout le droit à l’alimentation. C’est pourquoi nos expérimentations restent aussi limitées et il faut se dire que si les caisses alimentaires s’ouvrent aux entreprises, cela déclenchera probablement des contrôles du fisc ou de l’URSAFF, comme on a pu les voir au début de la création des AMAP. Les prises en main par les collectivités territoriales sont importantes, mais elles comportent le risque d’être rapidement institutionnalisées et de suspendre la réappropriation et le contrôle populaire.
Actuellement, quand on fait le bilan des politiques alimentaires des territoires (les PAT), c’est dérisoire par rapport à ce que l’on aurait pu attendre. Certes cela nourrit la politisation de l’alimentation, mais cela cadre les initiatives que l’on pourrait avoir par-ci, par là. La dimension juridique se réduit à l’heure actuelle à des discours sur les droits humains, mais pas du tout sur le droit à l’alimentation. Cela a permis de soutenir la filière de l’aide alimentaire, mais c’est justement cela qu’il faut dépasser.
Au plan juridique, en parallèle des travaux sur des questions de droit privé, il y a des travaux sur le droit agricole, sur le droit de la consommation, mais peu sur le droit à l’alimentation et les systèmes alimentaires. On reste sur une vision de produits alimentaires assujettis à la production agricole. Il faudrait élaborer une branche du droit liée au système alimentaire à l’échelle de l’Europe.
La piste des mutuelles, la cotisation sociale proposée par le collectif SSA sont à explorer car il n’y a que l’État qui peut décider d’un impôt. Les Collectivités territoriales ne peuvent pas le faire.
 
On ne peut pas changer le système agricole si on ne réforme pas le système alimentaire. Celui-ci exprime le besoin. A quelles échelles doit-on agir pour changer le système ?
Le changement agricole au niveau individuel ne changera pas le système alimentaire, ni le système agricole, même si c’est nécessaire. On est pris dans une interdépendance du système international, au niveau des pays et des continents, et on ne changera qu’en posant la question aussi à ce niveau. Le confinement du covid nous a permis de voir concrètement cette interdépendance entre pays à ce niveau. Mais il nous a montré aussi ce qui se passe quand des citoyen.es s’entraident et se mettent ensemble pour faire face à une situation de restriction.
On doit réfléchir à la co existence des systèmes alimentaires : s’imaginer la renationalisation de l’agriculture est une erreur. Il faut reterritorialiser, certes, mais ne pas rester à ce niveau là uniquement. Si tout l’Hérault était cultivé, on nourrirait Montpellier ; mais on voit que cette question de la relocalisation a des effets secondaires non négligeables : relocaliser, il faut le faire, mais cela ne suffit pas, cela ne nourrira qu’une partie de la population ; l’alimentation serait captée par la métropole de Montpellier. Se pose alors la question de savoir comment les petites communes font pour garder leur subsistance et permettre à leurs habitant.es de se nourrir du système alimentaire local.
La coexistence des systèmes alimentaires régionaux est indispensable : nous dans le sud, nous produisons des fruits pour le nord, de même qu’eux produisent des betteraves et des pommes de terre pour les régions du sud. Et on ne peut ignorer l’Espagne.

 

Pour sortir de ce dilemme, ne faut-il pas partir de l’idée que le système ne peut répondre à tous les problèmes, qu’il génère énormément de failles ; que c’est en agissant au niveau de ces failles, peu à peu, qu’on peut le faire basculer ?
C’est pour l’instant ce qui nous est collectivement possible. Dans ce contexte, la SSA permet l’élaboration d’un contre-récit. Ce contre récit est bien reçu dans les pays autour de nous. Une alliance internationale sur la sécurité sociale de l’alimentation peut être la base d’une transformation. Elle ne s’exprimera pas uniquement par une SSA à la française, mais celle-ci s’exporte de façon intéressante : sa fonction est politique plus qu’une réelle incarnation politique. Mais on peut imaginer et penser au changement du système productiviste ; cela se retrouve dans des dynamiques au sein de pays comme la Belgique, la Suisse avec la Convention genevoise et le droit à l’alimentation. On voit aussi des évolutions en Espagne, en Sicile ... et cette mise en commun politique à cette échelle a de l’importance.

 

 

Comment répondre à divers questionnements sur la SSA ?
Les producteurs vont se faire imposer quoi produire !
Ils sont déjà dans ces contraintes dans le système actuel ! Leur liberté (y compris celle de savoir quoi produire) est déjà contrainte. Or l’objectif de l’agriculture ce n’est pas seulement nourrir les gens. La critique serait plutôt de savoir comment ils pourraient reprendre la main sur leur métier, répondre à aux enjeux de biomasse, des déchets, de la pollution...

 

La démocratie notamment au niveau des conventionnements et de l’orientation des productions agricoles, donnera lieu à des abus, de la bureaucratie !
Nous sommes dans une période où l’on se recentre sur une vision de la démocratie appuyée sur la représentation (y compris dans sa forme améliorée type convention citoyenne). Passer à un modèle où l’on reprend en main sa vie quotidienne, où l’on prend la parole à propos de sa vie ordinaire représente un gap énorme pour les gens. Cela passe déjà par le fait de nous écouter mutuellement, de reconnaître nos besoins universels encastrés dans les changements climatique, d’accepter de questionner le modèle de domination culturelle : c’est un gros travail à mettre en place ! D’autant que le système est ancré dans une vision colonialiste et patriarcale, refusant de reconnaître la place des pays du Sud et celle des femmes.
Si on ne prend pas ces choses en main, rien ne changera : il faut faire un effort de reconnexion avec l’histoire des systèmes alimentaires. La modernisation des échanges pose la question des ressources, de comprendre que l’économie n’est pas indépendante de la pensée politique, et qu’il faut penser la question des marchés concrets, de réencastrer l’économie dans le social et le politique, comme le prônait Polanyi dès 1947.
On retrouve là les questions débattues par les écoféministes, au cœur de la reconnexion entre consommation et circuit court et travail lié à la subsistance. Ce sont ces pistes qu’il faut mettre au travail, notamment dans leur dimension de transformation politique.

 

Ça va coûter cher !
Si on reste dans le système actuel, qui exclue, pollue, détruit des ressources, engendre d’énormes catastrophes, certes, cela va coûter cher ! Continuer dans la logique des gains de productivité (et des bénéfices répartis toujours entre les mêmes) et des externalités négatives (elles à la charge des citoyens), oui cela coûtera cher aux populations, qui devront subir et payer !

Propos recueillis par Didier Raciné,
Rédacteur en chef d’Alters Média - Janvier 2024