Faisons connaissance de votre épicerie participative1. Pouvez-vous nous la présenter ?
Elle a quatre ans, je suis à l’initiative du projet avec un salarié. On est dans Dunkerque, dans un quartier populaire, une grosse majorité des adhérents sont de Dunkerque, mais pas tous. Elle a vite grandi et nous sommes à-peu-près deux cents familles adhérentes. Les statuts de l’association demandent de donner trois heures de son temps par mois, mais certains donnent beaucoup plus.
Et quel type de tâches peuvent-ils effectuer ?
A peu près tout ce qu’on fait dans l’épicerie : la gestion des commandes, la facturation, le ménage, la mise en rayon, la distribution, la collecte des produits. On va nous même tous les vendredi matin dans les fermes chercher les produits frais, pour éviter le déplacement aux paysans. Quatre équipes vont dans la campagne avec leurs véhicules récupérer le lait, le beurre, les fromages, la viande... ce sont des équipes d’adhérents, tous bénévoles.
Au total, nous nous approvisionnons auprès de 75 paysans et fournisseurs. Il y a aussi quelques coopératives. Mais les paysans réguliers, chez qui on va tous les vendredis, sont une bonne trentaine.
J’ai vu sur le site de l’épicerie que vous aviez un grand nombre de produits : vous êtes pratiquement une épicerie complète ?
Oui, on vend du papier toilette, du shampoing, du gel douche, des produits ménagers, mais aussi les pattes, le riz, le sucre, l’huile ...On ne veut plus que les gens aillent au supermarché, tout simplement ! C’est la démarche de l’épicerie : on ne veut plus alimenter ceux qui étranglent nos paysans. On fonctionne en circuit court, directement avec des fournisseurs, des maraîchers, des paysans, etc. nous leur rendons le service d’être au plus près du client.
Et, si je comprends bien, il n’y a pas de main-d’œuvre finalement, puisque c’est les adhérents qui font les services !
Oui ! Et en plus, on ne tire pas les prix : ce sont les prix des paysans ! On prend 20 % de marge, ce que tout le monde sait, le paysan et le consommateur : cela permet de payer un loyer, nos charges électriques et maintenant un salarié. Et nous, en tant que consommateur, on enlève les 20 % et on sait à quel prix on a payé le paysan.
Et c’est vrai pour les viandes : les animaux sont élevés ici et les abattoirs sont locaux. Pour les produits ménagers, nous passons par un grossiste engagé, Ecodis, certifié Ecocert. Nous sommes là aussi en circuit court avec possibilité de discussion.
Comment passez-vous vos commandes et gérez-vous votre trésorerie ?
Nous payons le producteur tout de suite. Nous demandons au client de faire une avance de 50 € (s’il le peut). Cela permet d’avoir une trésorerie saine et de ne pas faire attendre le producteur (à l’inverse de la grande distribution qui paie à 60 jours, voire 90 jours). Nous ne voulons pas être tributaire d’une subvention ou d’une aide quelconque pour le fonctionnement de notre épicerie.
La SSA à Dunkerque
Y-a-t-il à Dunkerque des projets de Sécurité sociale de l’Alimentation ?
Seriez-vous intéressé à ce que cela fonctionne ?
On parle depuis un moment, mais ça reste à l’état de quelques réunions. Ce sont des projets qui demandent pas mal d’énergie au lancement : il faut un collectif, qu’il soit soudé et sache dans quelle direction aller.
Bien sûr, nous sommes intéressés par ce genre de projet. Au sein de l’épicerie, il y a forcément des adhérents qui pourraient, s’ils étaient épaulés ou encadrés, s’engager dans ce genre de projet.
J’étais militant écologiste. A la suite des gilets jaunes, nous avons décidé d’agir au niveau de l’alimentation, dans une démarche d’économie locale et circulaire. Nous ne voulions plus alimenter ceux que l’on dénonce, qui abusent de nos paysans et qui font des bénéfices énormes.
Au début, je pensais à une épicerie solidaire, mais je me suis rendu compte que le seul gagnant était le supermarché qui défiscalise ce qu’il donne, qui va continuer à surproduire et fournira des cochonneries au plus modestes d’entre nous. Ce n’était pas vraiment dans mes valeurs. Avec un petit groupe, nous avons opté pour ce projet d’épicerie participative, qui nous semble beaucoup plus cohérent avec nos valeurs.
Ne pensez-vous pas qu’avec cette épicerie participative, vous initiez un peu un circuit très proche de la SSA ?
Nous y réfléchissons : on voit les centres sociaux donner des chèques alimentation aux plus démunis, qui sont souvent utilisés dans la grande distribution, ce qui est une aberration. Nous pourrions accepter ces chèques et donner quelque chose de sain, pas forcément plus cher et rendre agriculteurs et clients bénéficiaires à divers niveaux !
Cela ne demanderait pas grand-chose aux Centres de Secours (où à une Caisse de SSA) de conventionner des agriculteurs de vente directe, des épiceries participatives comme la nôtre, des épiceries solidaires du secteur. Les bénéficiaires auraient un chèque fléché sur des systèmes alimentaires vertueux !
Les contributions sous forme de travail des deux cents familles pourraient continuer : c’est un lieu où on a un lien social important, un lieu est à nous tous. On a lancé des ateliers cuisine, une cantine à prix libre le jeudi, un bureau social. On a un vestiaire, une bibliothèque, on fait des cours de français langue étrangère pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. On a récupéré un autoclave pour faire nos conserves nous-mêmes avec un adhérent, professionnel de cela.
Existe-t-il un réseau d’épiceries participatives ?
Il y a une fédération des épiceries autogérées, des épiceries non tributaires de subvention et complètement autonomes, créé par les Diony coop.
Propos recueillis par Didier Raciné,
Rédacteur en chef d’Alters Média - Février 2024