L’Opération « Milliard pour une transformation écologique »
Mobiliser des forces civiles, créer un socle social à la transition écologique !
Publié le 3 juillet 2024 par Didier Raciné
Bastien Sibille, Jean-Michel Lucas

 Co fondateur Mobicoop et Licoornes et initiateur de l’Opération Milliard
 Président du Laboratoire de transition vers les droits culturels

« L’Opération Milliard pour une transformation écologique » a été lancée le 26 mars !

Il est notable qu’une initiative de ce type vienne de la société civile : cela témoigne de son besoin d’actions contre les destructions provoquées par la modernité (dégâts sociaux, environnementaux, atteintes à la démocratie, ...).

Le cœur, l’essentiel de cette opération : mobiliser des forces civiles pour créer un socle social indispensable à la transition écologique ! Et pour cela retisser la trame d’une société de solidarité, de contribution, remédier à la perte de liens de personnes à personnes, de lien avec la nature !

Nous souhaitons plein succès à cette initiative du Milliard, qui est présentée ici par son initiateur, dans un débat avec un ancien Haut Fonctionnaire de l’État et des acteurs importants du monde associatif.

 

Didier
Bastien, quels sont les objectifs du projet du Milliard ? Pourquoi le dédier aux associations, aux coopératives ?

Ce qui est urgent, c’est qu’on arrive à créer des alliances entre des mondes qui fonctionnent chacun dans leur couloir de nage, de façon séparée ; je pense au monde des coopératives d’une part, à celui des associations d’autre part. Je viens du monde des coopératives engagées dans la transition, et je vois bien qu’il y a des enjeux communs, plus forts que ce qui sépare ces deux mondes. Cette urgence, elle est d’abord démocratique, puis sociale et enfin écologique.
Le Milliard, c’est un objectif et un pont : c’est une occasion de faire alliance, de faire route commune. Les façons de faire cette alliance ont bien été montrées par Claude Alphandéry lors de la journée du 6 juillet 2023, et dans la lettre qu’il a écrite à cette occasion : l’alliance dans la Résistance s’est faite parce que les acteurs de la résistance ont mené des combats communs, ont partagé ces luttes concrètes. C’est ainsi que se fera et doit se faire l’alliance entre les mondes coopératifs et associatifs.
Qu’est-ce que ce projet du Milliard ? Il est né de la tension entre l’avenir pour la société porté par les projets des associations, des coopératives, des entreprises sociales ; et la réalité actuelle de ces acteurs, c’est-à-dire ce qui est réellement financé pour faire avancer ces projets pour la transition.
Ils sont nombreux ceux qui veulent faire la transition, mais ceux qui veulent lui donner une dimension sociale réelle sont sans moyens.
Le Milliard, c’est dire cette tension ! Cela ne permet évidemment pas de financer la transition, ni même le passage à l’échelle. Mais le Milliard, peut approfondir le processus de la transition, le documenter, le faire rentrer dans la tête des gens et en particulier des dirigeants, le faire rentrer dans le marché. Le Milliard, c’est tisser des liens entre nous de façon à ce que, devant des contraintes politiques et sociopolitiques, nous soyons prêts, que les modèles pensés dans une étape de marginalité soient prêts à être mis en œuvre.

Didier
Jean-Michel, le cadre que vous avez présenté en 2020, au cours de cette période du COVID, que nous avons rappelé en introduction, a-t-il évolué et en quoi ? Quels objectifs pourriez-vous imaginer de nos jours ?

Le message que j’essayais de faire passer aux associations en 2021, était qu’il fallait qu’elles relèvent la tête : la société ne peut se passer d’elles. On l’a constaté durant le COVID : la société a eu confiance en elles. Beaucoup plus que dans le système marchand. Quand la confiance règne, un prêt à long terme ne doit pas faire peur.
Ce qui a évolué, c’est que cette discussion n’a plus cours aujourd’hui : durant le COVID, nous avons été sauvés par les relations d’humanité, de solidarité, des relations non marchandes entre les personnes ! Soutenir ces relations souvent portées par des associations était d’intérêt collectif. Aujourd’hui, c’est oublié ; les relations marchandes ont repris le dessus. La confiance dans l’associatif a disparu et, avec elle, le « crédit » que la société devrait lui accorder à travers ce prêt à long terme.

 

 

Didier
Bastien, vous avez exprimé votre souhait qu’avec le Milliard, un débat, un combat démocratique s’instaure pour approfondir le processus de la transition, pour en cartographier les controverses et en préparer le cours démocratique, social et écologique.
Pouvez-vous développer ?

Le projet du Milliard, ce n’est pas uniquement obtenir un milliard d’euros, c’est d’abord que les lignes bougent, qu’il y ait des acteurs qui se mobilisent pour faire changer les choses. Cela montre la dimension politique du projet : nous ne nous désignons pas comme force politique, mais comme « force civile d’action », pour faire changer la cité. Quelque part, il faut créer un rapport de forces : au départ, il faut que 5 à 10 000 personnes engagent le processus, s’unissent pour réunir cent millions d’euros. Cela pèse en termes d’engagement !
Il faut souhaiter que cette tension soit positive et constructive. Notons que la réception auprès des financeurs bancaires est excellente : on les aide à avancer, ils cherchent des solutions, et l’établissement d’un dialogue les intéresse fortement. Il y a des controverses, évidemment, et nous avons à consolider nos positions et objectifs, à les cartographier : ainsi par exemple, qu’est-ce que la rémunération juste du Capital dans la transition ? Que doit être celle des salariés ? Qu’est-ce que la démocratie ? Quels sont les grands secteurs où investir (l’eau, les sols, l’air...) ? Mais pour construire le rapport de force, pour prendre des décisions, il faut une discussion démocratique entre nous.

Jean-Baptiste Jobard
Jean-Michel, dans ta proposition de 2020, tu évoquais un prêt à très long terme et qui, sous certaines conditions (intéressantes à explorer d’ailleurs), pouvait être reconduit. Cette réflexion était stimulante car elle permettait d’envisager le fonctionnement des associations.
Si ce point nous semble particulièrement important, c’est parce qu’il invite à penser deux besoins complémentaires : un « socle de sérénité » c’est-à-dire un financement de fonctionnement sécurisé d’une part. Et d’autre part parfois le besoin d’investissements, ce qui amène à penser autrement la solvabilité de l’investissement et le retour sur celui-ci. Ces deux besoins pouvant être à relier évidemment.
Comment parvenir à penser ensemble la réponse à ces deux types de besoin de financement ?

Jean-Michel
Ma proposition était de sortir les associations du champ marchand, pour leur apporter, avec les 8 milliards, les moyens d’un fonctionnement privilégiant les relations de qualité entre les personnes, sans subir l’épée de Damoclès de la concurrence.
Le plaidoyer repose sur les valeurs fondamentales de l’Union européenne : permettre aux personnes d’accéder à plus de libertés effectives de faire des choix et de leur garantir des relations de dignité. Le mouvement associatif, par les relations qu’il sait établir entre les personnes, est mieux à même que le marché concurrentiel de répondre à ces valeurs fondamentales. Je devrais dire à ces valeurs émancipatrices.
A condition toutefois que le mouvement associatif ne tombe pas dans le panneau de la marchandise. Il doit refuser que sa réalité soit uniquement interprétée comme de « l’offre » de « services » à des « demandeurs ». Il doit revendiquer sa mission d’intérêt collectif qui est de déployer des relations émancipatrices de personnes à personnes.
Bastien
Le gros output du projet, ce n’est pas le Milliard ! C’est de rendre des capacités d’action aux acteurs les mieux positionnés, c’est de leur rendre leur fierté, au quotidien.
Ni les forces du marché, ni l’État ne pourront adresser les enjeux, certes ! Mais on n’y arrivera pas non plus sans l’État. Sans doute l’État est en défaut, mais sans l’État, on n’y arrivera pas non plus. La structure du financement demandé dans le projet reflète parfaitement cette réalité : réunir 100 millions d’euros dans un premier temps, en s’appuyant sur les apports individuels de 5 à 10 000 personnes ; puis obtenir des investisseurs institutionnels 200 millions d’euros, et enfin, de l’État le complément à 700 millions d’euros.
J’ai 44 ans, dans ma génération, beaucoup de personnes ont déserté, sont partis dans le secteur marchand et n’ont pas voulu rentrer dans l’État. Il faut reconquérir cette partie des talents. 2027 et les chocs exogènes géopolitiques qui se préparent me préoccupent. Sur les 700 Millions que nous voulons aller chercher auprès de l’État et la Commission européenne, il y aura 350 millions en investissements (que nous voulons négocier auprès de la Caisse des Dépôts et la BPI), et 350 millions sous forme de subventions, auprès de Bercy et de l’Union européenne.

Didier
Pour que cet argent puisse être profitable, serve réellement à la transition, ne faut-il pas que les acteurs associatifs, coopératifs, des communs aient dégagé des lignes claires, que le projet soit bien préparé, que les cartographies des controverses soient bien définies ?
Comment allez-vous le faire ?

Bastien
Le premier objectif est effectivement d’avoir un récit commun : il faut s’entendre sur des fondamentaux, autour de quelques valeurs radicales, allant à la racine des choses. Les deux mondes, aussi bien associatifs et coopératifs sont extrêmement hétérogènes, et nous n’arriverons pas à aligner tout le monde. Ce n’est pas grave.
Mais il faut que la question de la valeur et de sa répartition soit très claire. La crise écologique est un problème d’inégalité sociale. Les gens qui ne seront pas d’accord avec cela sont en dehors de la route que nous voulons tracer. Une mauvaise répartition sociale aura une dimension d’inégalité écologique. Donc la question écologique est centrale et les questions sociales doivent être tournées vers les questions écologiques.
Il y a enfin une troisième question, la question démocratique : il faut donner la capacité d’agir aux personnes, et non pas leur en retirer en disant que « nous savons ce qu’il faut faire ». Il faut s’engager avec elles dans la co construction. C’est sur ces sujets que les équipes travaillent.

Jean-Michel
Je reviens sur la question de l’État. Ce qui est important dans notre débat, c’est l’état de droit au niveau européen. Il fixe les termes obligatoires que tous les acteurs devront respecter. En l’occurrence, le cadre européen le plus pervers est celui posé par la constitutionnalisation de la concurrence au niveau de l’Union. En effet, les associations, les coopératives et autres entités de l’ESS ont beau dire qu’elles sont non lucratives, d’utilité sociale, d’intérêt général, vertueuses en somme, elles sont quand même soumises à la concurrence. C’est terrible : les valeurs auxquelles on croit n’ont pas d’importance puisque dès qu’une activité se présente comme un « service » offert pour répondre à un « besoin », elle devient « économique » et est absorbée par la machine marchande concurrentielle ! Et, en plus, à son corps défendant !
La traduction concrète se lit dans les fameux SIEG (Services d’intérêt économique général) qui sacralisent la concurrence marchande même dans la sphère publique ! Il fallait oser !
Accepter cette logique des SIEG revient à étouffer la spécificité émancipatrice du mouvement associatif en niant tout importance politique aux relations de personnes à personnes.

Didier
Mais justement, il y a des principes, non pas liés au marché, mais à la conservation de certains droits ou de ressources à protéger, dans lesquels les relations sociales, les relations d’humanité sont au centre : ces principes, ce sont ceux des communs.
N’y a-t-il pas à expliciter ces notions de communs dans les controverses à cartographier au niveau du projet ?

Bastien
Il faut rappeler qu’historiquement, la force de régulation du marché, c’est l’État. Chaque fois que l’État a reculé dans sa régulation des marchés et dans le fait que le marché soit encastré dans la société, alors la société a réagi pour se protéger en mettant en avant des forces autoritaires. Cela c’est Polanyi. Notre action, c’est rappeler l’État à ses responsabilités.
Les projets autour des communs et des biens communs sont magnifiques, et le Milliard peut être conduit à en soutenir, mais s’ils existent, c’est que l’État est défaillant et ils existent là où l’État ne peut agir.
Je suis un homme de projet qui se réclame des biens communs, et je travaille avec des coopératives, des associations qui sont des personnes morales qui se battent pour des biens communs. Je suis rentré dans les questions sociales avec Valérie Peugeot, sur les questions des logiciels libres, au sein de VECAM, où nous avons repensé la question de la propriété intellectuelle. Les communs, c’est passionnant au plan intellectuel, mais il faut regarder ce qui est en place, et je ne vois pas d’opérationnalisation des communs. Nous n’avons pas le temps d’attendre que les forces sociales se structurent.

Marianne
L’État est en principe le premier garant de l’intérêt général, il le protège. Or, aujourd’hui l’État tout comme le secteur de l’économie sociale et solidaire est traversé par des logiques de financiarisation et de marchandisation qui vont à l’encontre de ce principe. Ces logiques rencontrent les intérêts des acteurs financiers qui sont poussés à rendre leurs investissements plus « verts » et plus « sociaux ».
Le Milliard peut, dans ce cadre, attirer ces acteurs financiers mais alors il s’agira principalement d’investissements financiers et non de subvention. Pour les coopératives, il sera possible de rendre les fonds avancés sous forme d’investissements mais pour les associations, ce ne sera pas possible !
Comment travaillez-vous sur ces questions ?

Bastien
On ne pourra pas faire de transition sans revoir le rapport au capital. Il faut que les acteurs du capital repensent leur dispositif et modifient, réduisent la rémunération du capital. Ceci les rapproche du système associatif : on dit que les coopératives sont à lucrativité limitées ; et que les associations sont non lucratives. Parfait, mais si les coopératives pouvaient être non lucratives, je ne serais pas gêné. La lucrativité limitée peut être encore plus limitée. D’ailleurs, à ma connaissance, les coopératives versent très peu de dividendes.
D’autre part, les salaires des associations aussi peuvent être conséquents. On doit pouvoir veiller à limiter ou stopper l’enrichissement personnel. Et si on met de l’argent, on doit pouvoir le retirer. De plus, il faut aussi pouvoir subventionner certaines activités au sein des coopératives. Toutes ces choses nous rapprochent.
Il faut sortir de la logique uniquement financière : les subventions pour le fonctionnement peuvent être d’excellents investissements, les valeurs qu’elles engendrent pouvant être sociales et écologiques. On peut faire la démonstration que l’on n’aura jamais la même production de valeur dans des associations ou des coopératives.
Les 350 millions d’euros de subvention seront massivement dédiés au mouvement associatif, pour développer ses capacités, l’éducation populaire étant l’une des toutes premières priorités.

Jean-Michel
Je reviens sur l’état du droit en Europe, car nous y sommes tous confrontés : il est possible de sortir du tout marchand concurrentiel imposé même au mouvement associatif. L’Union a en effet prévu que, sous certaines conditions, des activités puissent ne pas être « économiques ». La définition de ces activités reste floue mais, à côté de l’école primaire, on trouve des activités qui contribuent à la dignité des personnes, conformément aux valeurs fondamentales de l’Union.
Évidemment, les textes ne parlent que de la dignité de personnes déclassées par rapport au marché du travail ! Toutefois, rien n’empêche de lutter pour que la reconnaissance des activités non marchandes s’élargisse à toute activité dont la finalité est la qualité des relations de personnes à personnes et non la vente de « services ».
Le mouvement associatif, attentif à l’éthique des relations de personnes à personnes, serait en bien meilleure position que le lucratif pour défendre ces valeurs fondamentales de l’Union.

Didier
Avant de passer à des questions plus opérationnelles et pour clore (temporairement) cette discussion sur les valeurs,
Comment sont abordées ces questions à cette étape dans le projet du Milliard ?

Bastien
Rien dans le projet du Milliard ne doit conduire à mettre sur le marché des processus exigeant la rentabilité des associations, ou qui pourraient induire cette exigence : ce serait un échec. Une fois que j’ai dit cela, je suis conscient du risque : les forces du marché pénètrent le secteur social, par exemple à travers les entreprises à mission. Nos coopératives à nous sont certes très proches de l’intérêt général, mais il nous faut densifier nos positions, et pour cela faire une alliance avec le secteur associatif. C’est ce pas que nous sommes en train de faire avec le secteur associatif. Mais il faut éviter que l’on arrive à du négatif, à ce qu’on se marche sur les pieds.

Jean Baptiste
Un dernier point sur les principes d’action avant de passer à la partie opérationnelle.
On peut avoir en tête la définition de la démocratie par Paul Ricoeur pour nous éclairer : « est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêts, et qui se fixe comme modalité d’associer à parts égales chaque citoyen dans l’expression, l’analyse, la délibération et l’arbitrage de ces contradictions. »

L’idée est donc de veiller à l’égalité de l’expression et à la qualité de la délibération et des arbitrages. D’ailleurs la notion de « tiers veilleurs » que l’on applique dans les recherches-actions peut être utile dans cette perspective. Il s’agit de veiller à ce que le cap soit fixé par une valeur cardinale : la dignité. Cynthia Fleury en parle très bien dans ses développements sur l’interdépendance et cela aide à penser des dispositifs à partir de la notion de réciprocité qui est une notion aidant à faire la jonction entre l’économique (on pense à l’importance du concept chez Polanyi) et le politique…
Donc sur les principes d’actions, il semble que le chemin est assez bien balisé. Mais sur la traduction opérationnelle en actions concrètes, c’est une autre paire de manche. En effet, comment réussir cette transformation sans réinventer le triple cadre dans lequel elle va se dérouler : la fiscalité, la monnaie (et la politique monétaire) et la comptabilité (c’est la raison pour laquelle nous nous intéressons de près à la comptabilité CARE d’ailleurs).

 

 

Didier
A propos de la forme du Fonds, de sa gouvernance : Bastien, comment imaginez-vous, le fonctionnement de ce Fonds du Milliard ? Quelles en seraient les règles de gouvernance ? Envisagez-vous la création d’un organe de gouvernance ? Comment le constituer démocratiquement avec la communauté œuvrant dans le but visé ?

Je vais d’abord répondre sur l’action du Fonds qui se mettra en place : autant sa mise en place est régalienne, affaire de l’État, autant nous nous considérons comme force de propositions, et pas juste sur le mode « on fait la R et D, et ils prennent ou non le projet », mais sur le mode « on fait la R et D et on prend le pouvoir ».
Ainsi, par exemple, pour les structures où la comptabilité triple doit être mise en place, qui paie pour cette mise en place ? Ce sera ce fonds ! Quand je disais que les 200 millions d’euros allaient servir à réaliser des investissements, je pensais notamment à cette mise en place de la comptabilité et, pour la monnaie, il faudra mettre en place des monnaies locales et là aussi il faudra financer ces investissements.
La forme du Fonds sera celle de l’action actuelle, la forme de la bataille des prochains mois. L’output du projet, je le répète, ce n’est pas le Milliard, mais les questions dont on discute : les avancées dans notre projet, la compréhension de la valeur, la question de l’échange...
La question, c’est comment on constitue un commun, avec cette communauté que constitue l’ensemble des personnes qui s’y investissent. Là je suis d’accord, je suis un homme du logiciel libre, il faut un énorme wiki, pour que chacun puisse contribuer à cette énorme base de connaissances. Il faut le mettre au centre pour nous permette de gérer ce processus. On aurait besoin de capacités de Recherche Action qui nous permettent de structurer ces éléments de connaissances. On a besoin d’une énorme base de données de contacts (un CRM), pour gérer les 10 000 personnes qui seront impliquées dans le mouvement.
Sur le Fonds lui-même, il faudra une Fondation citoyenne, et nous ne savons pas si ce sera la transformation de la « force civile » actuelle, ou si nous aurons à la fois une Fondation et le mouvement. La Fondation sera dotée de 5 à 10 millions d’euros pour le fonctionnement du mouvement. Mais dans tous les cas, ce sera le cœur démocratique de l’opération financière.
Dans la deuxième phase, avec les 300 millions d’euros, on pourrait les mettre dans un véhicule financier ; mais je verrai plutôt que le mouvement établisse les règles de ces investissements : les taux d’intérêts, la durée, les conditions d’accès, la forme des subventions, les grands thèmes d’investissement... Sur ces bases, vont se dérouler les négociations avec les trois banques auxquelles nous nous adresserons : elles ont chacune déjà positionné 2 milliards d’investissements à réaliser. Nous leur demandons à chacune 100 millions, selon les thèmes d’investissements et les règles que nous aurons démocratiquement décidées, et qui démontreront que nous avons gérer ce processus.
C’est là-dessus que nous pourrons convaincre l’État d’apporter les 700 millions d’euros de la 3ème étape. Pour les 5 000 personnes apportant 5 millions d’euros, c’est un investissement, mais ce n’est pas énorme, cela reste possible. Pour les 3 banques, qui investissent chacune 100 millions d’euros, nous leur apportons la crédibilité, la visibilité des investissements, le sourcing, sans avoir à s’impliquer dans la gestion des fonds : c’est donc une bonne affaire ! Pour l’État, ce n’est pas très cher : la Caisse des Dépôts tout comme Bercy disposeront chacun, pour 350 millions d’euros, de l’ensemble des forces ainsi rassemblées : c’est une bonne affaire.

Didier
Dans ce processus avez-vous d’ores et déjà un plan pour travailler à l’ensemble de ces questions, une méthode ?

Bastien
Six groupes de travail de 10 à 20 personnes sont au travail : le 1er travaille sur le récit ; le 2ème sur l’articulation des réseaux ; le 3ème sur les 200 premiers lieux d’actions qui rejoindront l’action ; le 4ème sur les besoins de financement de la transition ; le 5ème sur le désir d’épargne actuel des personnes engagées ; et le 6ème sur la forme du Fonds.
Ils présenteront leur feuille de route, le 26 mars, lors du lancement du projet, c’est-à-dire leur méthodologie, leurs agendas. Sachant que pour prendre des décisions, il faut des règles et des discussions démocratiques.

 

 

Marianne
Qui participent à ces groupes ? Les réseaux associatifs y sont-ils connectés ?

Ce sont des équipes de bénévoles, composées de personnes intéressées par les questions, qui y ont aussi une réelle expérience. Les réseaux associatifs sont proches, mais nous souhaitons aussi travailler en direct avec les associations, connaître les besoins qui remontent de leurs expériences en matière de transition.

Jean Baptiste
Entre le moment où nous avons fixé cette date d’interview et aujourd’hui, nous avons assisté à un événement majeur avec l’annonce par Bercy d’un nouveau plan d’austérité de 10 milliards d’Euros (s’ajoutant aux 16 milliards déjà actés par 49.3 en Décembre 2023). Est-ce à dire qu’il faut actualiser vos propositions et chercher non pas 1 Milliard mais 11 Milliards d’Euros ?
On voit bien que sans le rapport de force que nous évoquions au début, nous restons sous la menace d’être submergés par des vagues immenses !

Bastien
Oui, effectivement et c’est pourquoi j’ai évoqué ce rapport de force, ce combat politique au début de l’entretien. Et comme je suis pragmatique, je redis ce qui est mon sujet dans ce combat : cartographier les controverses, documenter nos forces et nos faiblesses, nouer des alliances, montrer ce dont nous sommes capables, ... C’est le moins que l’on puisse faire d’ici à 2027 ! On verra à cette date si des forces se coalisent, mais il faut commencer à faire cet immense effort ! Mais sachons que ce qui est infiniment plus important que ce milliard, c’est de créer la confiance entre nous, c’est la synergie qui se mettra en place,

Jean-Michel
Je suis entièrement d’accord, mais, vu la diversité des acteurs, pourquoi ne pas s’organiser pour qu’une équipe travaille sur les valeurs minimales de l’Union. Dans le cadre du référentiel européen que j’ai rappelé, les valeurs fondamentales seraient alors des balises communes autour desquelles les acteurs ESS, aux pratiques différentes, pourraient, au moins, se rassembler. Ils exprimeraient, alors, leur résistance collective aux injonctions de la règle concurrentielle qui se moque totalement de leur intentions solidaires et sociales.
L’éthique des droits humains fondamentaux est une arme dans la lutte contre l’écrasante légitimité de la concurrence que subit le mouvement associatif.

Bastien
Si j’attaque le sujet des valeurs tel que tu l’amènes, je suis sûr que nous passerons des années à en discuter sans parvenir à nous mettre d’accord.
Nous allons publier prochainement avec Claude Alphandéry un petit texte « Nous résistons » : ce qui a permis à l’issue de la guerre, à construire la social-démocratie, ce sont les années de résistance, de luttes concrètes collectives, où se sont créées les liens de confiance. Il faut des débats éthiques, nous en sommes bien d’accord, mais ne commençons pas par-là ! il faut les faire précéder par l’action.

Jean-Michel
Prenons un exemple : vous allez voir les banques. Pourquoi ne pas discuter avec elles des conditions éthiques conformes à la charte des droits fondamentaux nécessaires pour l’utilisation de cet argent dans le cadre du projet du Milliard ?
Bastien
La question de la gouvernance est essentielle et avec elle les principes de l’action. Quel argent pourra-t-on accepter ? Comment en discuter et décider ? Nous sommes en train de construire une association, avec son AG, son CA, son Comité scientifique et un Comité que nous appelons Comité des Sages ou du futur. Nous n’en sommes qu’au début de ce chantier, et on peut le regretter, mais si l’on attend d’avoir la coquille parfaite pour mener les débats, nous n’avancerons pas !

Jean-Michel
En pratique, il faut seulement poser les balises de dignité et de libertés effectives des personnes et interroger régulièrement les actions sur la manière concrète dont elles prennent en considération ces balises.
Il ne s’agit pas d’appliquer une morale parfaite et rigide à chaque action ; c’est plutôt une éthique de la discussion démocratique pour s’ajuster sur la compatibilité de l’agir avec les valeurs d’humanité. On voit assez cette nécessité de « vérification » que réclame tous les jours le mouvement Metoo, par exemple.

Bastien
Je suis d’accord !

Didier
Pour conclure, ce débat a eu l’intérêt d’aider à faire comprendre le mouvement qui est lancé, à présenter les résultats de ses travaux, la cartographie des controverses à résoudre, à renforcer l’alliance à construire.
Ce débat a vocation à se poursuivre, et Alters Média ainsi que le média d’éducation populaire que nous sommes en train de construire, e pop, seront d’excellents moyens de rendre compte de vos travaux, mais aussi d’enquêter sur les réseaux, les lieux et les besoins de la transition. Utilisez-le !
La question de la gouvernance me parait être la question majeure, la garantie de votre succès. Le prochain numéro portera sur les communs, et la gouvernance de la communauté de gestion de la ressource à préserver est la question clé de la constitution de communs.