Qu’est-ce que l’écologie ?
Qu’est-ce qu’est l’écologie que vous appelez écologie pirate ? En quoi diffère-t-elle de l’écologie mainstream actuellement ?
Cette première observation de la sociologie très homogène du mouvement écolo est intéressante mais ne suffit pas : il faut étudier le projet politique écologiste pour essayer de comprendre en quoi cette écologie ne convient pas à tout le monde. Le premier point d’entrée que j’ai pris pour l’étudier, c’est la question de la liberté de circulation. Le second est la dignité humaine et ses rapports à la terre.
À propos de la liberté de circulation, c’est simple : on n’en discute pas ! La question de la liberté de circulation et d’installation sans conditions n’est pas à l’ordre du jour, ce n’est pas un débat, y compris dans le champ intellectuel, ou le champ académique, ou dans les milieux écologistes radicaux. On ne vérifie pas nos accords, ni nos désaccords, du moins on n’en fait rien.
L’extrême droite parle de la nécessité d’aller vers l’écologie et aborde des enjeux liés à la terre ou à l’eau. Et pour moi, il ne s’agit pas d’instrumentalisation, il y a un intérêt et un retour vers quelque chose qui lui est chère. Et l’écologie pour l’extrême-droite, c’est les frontières.
J’ai participé à un colloque universitaire en Suède il y a huit ans intitulé Écologies et Extrême droites en Europe. Je me suis rendu compte de deux choses :
• La première, c’est à quel point les extrêmes droites européennes cherchaient à faire le lien avec les enjeux liés à la crise climatique. Elles souscrivaient de plus en plus aux rapports du GIEC montrant la catastrophe climatique, mais aussi les inégalités des conséquences du dérèglement climatique au sud et au nord de la Méditerranée : les ravages seront plus nombreux au sud qu’au nord et ils pousseront les populations d’Afrique à migrer. Les extrêmes droites, conséquentes par rapport à leur idéologie, concluaient en parlant de verrouiller les frontières.
Mais nous, comment sommes-nous capables d’articuler la question climatique, la question démographique et la question des frontières ? Ma réponse, c’est la liberté de circulation !
• La seconde, c’est que l’extrême droite ne se saisit pas de l’écologie uniquement pour l’instrumentaliser : ils parlaient mieux de la terre que ne pouvaient le faire des intellectuels progressistes dans le camp de l’émancipation !
Est-ce que vous reprendriez le mot d’ordre ? « Il n’y a pas d’étrangers sur Terre ».
Je me suis rendu compte depuis la sortie du livre notamment, que la question des frontières venait parasiter la question de la liberté de circuler. Les personnes à qui vous dites frontières, entendent no border et donc chaos. En réalité, ce n’est pas ce que je défends : il y a une frontière entre la France et la Belgique, mais vous êtes d’accord qu’on peut circuler librement et sans craindre de mourir entre la France et la Belgique ; la frontière franco-belge n’est pas ce cimetière qu’est la Méditerranée qui sépare l’Europe et l’Afrique. C’est ce pourquoi il faut se battre.
Pourquoi la liberté de circulation et d’installation sans condition n’est-elle pas un droit fondamental reconnu en droit international et dans le droit européen ? La seule explication c’est le racisme structurel et le rapport colonial qu’entretient l’Europe avec le Sud et avec l’Afrique en particulier. Aujourd’hui, le droit international garantit le droit de quitter une terre ravagée par une catastrophe, une sécheresse, une guerre civile, mais il ne garantit pas d’être accueilli à bon port.
Moi, je préfère qu’on soit sur ce terrain-là, juridique, il permet d’avoir un horizon. Des revendications et des débats qui pourraient avoir lieu à l’Assemblée nationale, au Parlement européen, à l’ONU, dans les ONG qui travaillent sur les enjeux climatiques, etc. Le débat est plus bordé quand on pose la question dans le champ juridique, hors débat sur les frontières, avec comme revendication la liberté de circulation comme droit fondamental.
L’écologie, la terre et la question de la dignité
Je parle d’égalité dignité humaine pour, stratégiquement, mettre tout le monde d’accord sur la nécessaire lutte contre un système de classe, patriarcal et raciste. Et donc avec les féministes, les antiracistes, les anticapitalistes. L’horizon commun pour nous tous qui essayons de travailler ensemble et qui n’y arrivons pas encore aujourd’hui, c’est l’égale dignité humaine. Je suis engagée aussi sur les enjeux de libération animale : là aussi on parle de dignité, de dignité animale.
Laisser de la place dans le champ de l’écologie politique à ces conteurs et conteuses, ces historiens, et historiennes, ces artistes qui portent ces héritages et ce patrimoine, nous enrichit considérablement.
D’où est venue pour moi l’idée de travailler à l’ancrage territorial, alors que je menais des combats antiracistes pour les quartiers populaires, écologistes ? J’ai travaillé longtemps pour la Commission nationale du débat public. Je ne connaissais pas alors les campagnes françaises, leurs populations. Je devais questionner les gens sur un grand projet de Center Parc, dans le Jura puis pour un autre en Bourgogne.
• Dans le Jura, ce furent des centaines de personnes qui sont venues de très loin participer au débat public, avec leur fourche, pour dire : « nous vivants, il n’y aura pas de Center Parc ici. ». Ils parlaient de leur terre en amoureux, fortement ancrés dans cette terre qu’ils connaissaient très bien ; à l’époque, le chômage y était de 6 %.
• En Bourgogne, changement d’ambiance, 12 % de chômage et un territoire désindustrialisé, des campagnes en déclin, une population travaillant à la ville, sans un fort ancrage territorial. Des entreprises dont les productions avaient de très grandes conséquences sur l’environnement, jouant l’environnement contre l’emploi : « on va créer de l’emploi grâce au Center Park ».
À la fin du débat public, le promoteur envisageait son Center Parc en Bourgogne, et pas dans le Jura.
En revenant de ces débats dans les grandes métropoles, j’avais évolué : comment voulez-vous qu’on défende la terre si on n’a pas avec elle ce rapport amoureux avec elle, aussi fort que celui des populations dans le Jura ? La terre est une condition à l’engagement politique. Sans terre, sans lien à la terre, on ne peut pas vouloir la protéger !
Je suis arrivé à la conclusion dans L’écologie pirate : inutile de nous demander de protéger la terre si nous ne sommes pas considérés comme étant légitimes à l’habiter. Il a fallu que je passe par le Jura pour dire : « C’est notre terre aussi, et celle de nos enfants ».
C’est là une tout autre vision de l’écologie et du rapport à la terre me semble-t-il.
Une anecdote significative ! Lors des manifestations des Gilets jaunes, j’ai participé à un débat avec EELV à Montreuil et j’ai vivement soutenu ce mouvement : « la notion de justice, les questions de dignité, de démocratie, de la répartition des richesses, de fin du monde, de fin du mois, pour lesquelles ils manifestent nous intéresse ! Nous sommes avec les Gilets jaunes ! »
La porte-parole du parti EELV de son côté avait mis un gilet vert et défendait la taxe carbone, et elle dénonçait un côté facho chez les gilets jaunes ! Et au lieu de se saisir de cette révolte pour élargir le mouvement populaire pour l’écologie et justement casser l’entre-soi, EELV inventait un symbole de distinction, le gilet vert !
Votre ouvrage ainsi que celui de Jean Christophe Goddard montrent la richesse considérable et l’importance politique de l’histoire et de l’expérience des peuples que les occidentaux ont colonisés ; leur compréhension profonde de ce qu’est le réellement l’occident. Ne devons-nous pas, nous Occidentaux, apprendre de ces peuples, comprendre ce que nous leur devons, pas uniquement sur le plan matériel du fait du pillage de leurs richesses, mais aussi du fait des connaissances qu’ils nous transmettent sur notre société tout au long de ces siècles de contacts ?
Dans un texte Terre de retour, terre de repos, Nadia Yala Kisukidi1 par exemple, parle de la terre dont on a besoin pour se reposer. Comme je viens de l’indiquer, la terre est ce pour quoi nous nous battons, sans terre on ne peut pas se défendre. Elle, nous dit, à nous qui venons de peuples qui ont été déplacés, qui ont migré, pour qui se battre est une injonction et qui ne peuvent pas bénéficier du privilège du repos : « notre terre est aussi un lieu du repos ! ». Voilà un beau texte qui ouvre des perspectives, des horizons.
Le Sud, la sécession et la libération
« Dans un contexte d’extrême droitisation et de fascisation du champ politique français et européen, un projet d’écologie politique et de décroissance qui ne place pas en son centre une ligne anti coloniale et anti raciste est voué à l’échec, tant que le système qui détruit le vivant repose tout entier sur la sous-humanisation d’une partie de l’humanité » continuez-vous. Que pourrait être pour vous cette sécession territoriale ?
J’ai présenté cette option parce que je trouve que c’est vraiment intéressant d’y réfléchir et d’en parler. Comme sur le non-débat autour de la liberté de circulation, mettre la question sur la table permet ne serait-ce que d’en discuter, d’ouvrir des perspectives, de progresser. C’est la même chose pour la sécession : il faut un pavé dans la mare !
On n’en parle jamais, en sous-entendant que ces populations-là sont déjà bien heureuses de vivre en régime français, pour qui se prennent-t-elles d’oser imaginer faire sécession ? Ce n’est pas la même chose quand c’est Alain Badiou qui parle de sécession et quand c’est moi.
Cela peut passer pour de l’arrogance, mais je considère que ça fait partie de notre ancrage territorial : nous sommes tellement chez nous ici, que nous envisageons même de nous auto-organiser sur notre territoire et de refuser la gouvernance fasciste qu’on nous prépare. Dans le livre Pour une écologie pirate, je ne dis pas grand-chose en réalité concernant la sécession, mais pour moi, c’était déjà important symboliquement de dire que c’était une option, de la poser sur la table au regard de certains milieux censés penser l’émancipation et être à l’avant-garde. Ce n’est pas du luxe que d’y réfléchir.
J’y réfléchis vraiment dans un troisième livre sur l’organisation sociale, la sécession y est au centre.
Quand sortira votre livre ? Comment voyez-vous la démocratie dans une société libérée, libérée du colonialisme, du capitaliste et de l’idéologie de ce pouvoir ?
Et par exemple, la question de l’échelle territoriale est importante. La question aussi de la société à laquelle on aspire et qu’il faudrait organiser. Je lis beaucoup Bookchin en ce moment, les travaux concernant le municipalisme, le localisme, les expériences politiques en Espagne. Je m’intéresse énormément aux municipales de 2026, aux listes citoyennes en France hexagonale.
À cette étape, je peux en dire trois points :
• La sortie du capitalisme : encore faut-il réfléchir à ce que ça veut dire sortie du capitalisme, car tout ce qu’on mange, respire, boit, porte comme vêtements, c’est le système capitaliste. Donc se pose vraiment la question de la subsistance.
• Cela implique évidemment la question que vous sembliez soulever tout à l’heure, la question des frontières. La sortie du capitalisme passe selon moi par la sortie de l’État-nation.
• Enfin il y a quelque chose à retrouver et à inventer dans l’organisation communautaire sur le territoire. La dimension communautaire de la démocratie m’intéresse beaucoup. Sachant que cette organisation communautaire est rejetée : la France s’est construite par rapport à cette menace. Plus précisément la France a construit, pour se construire, un danger communautariste.
Sur votre deuxième point, nous soutenons que le principe de souveraineté exprime l’idée qu’il y a des détenteurs exclusifs du droit (la nation, le peuple, le roi...). Ce principe de souveraineté doit être abandonné car il est le support principal d’une forme de la démocratie libérale : la démocratie représentative profondément opposée à la participation du peuple à la démocratie.
Et sur le plan mondial, le premier principe à partir duquel sont générés les guerres. La question de l’état-nation, c’est un point clé. La libération viendra principalement du Sud ; Vous le dites très clairement : « La sortie du capitalisme écocidaire ne se fera ni de façon civilisée, ni de façon barbare. Elle se gagnera grâce à une guerre de libération dont le centre se situera certainement dans le Sud Global. (...) Et en Europe, nous ferons notre part. »
Pouvez-vous, en conclusion de cet entretien, développer cette idée évoquée dans L’écologie pirate ?
Mais ce que j’ajoute dans l’écologie pirate, c’est qu’il nous faut faire notre part. Et notre part, c’est aussi effectivement les alliances qu’on est capable de créer avec les luttes, les camarades, les réflexions, les pensées de l’autre côté de la Méditerranée.
Il faut retrouver, dans nos projections cette dimension internationaliste. Comment on travaille avec des gens qui partagent le même projet, les mêmes horizons, en Afrique.




